Alain Juppé est peut-être un candidat à la primaire de l’UMP en quête d’argent, mais il est aussi le meilleur VRP de Bordeaux, la ville comme le vin. Il nous apprend donc des choses passionnantes sur le précieux breuvage, par exemple que “22 bouteilles de Bordeaux sont venues dans le monde chaque seconde”.
Le miracle, c’est que ce reporter soit parvenu à reproduire cette citation sans erreur (et sans l’aide de Google). A l’heure où l’ancien premier ministre français fait son discours, la soirée est lancée depuis plus d’une heure. L’invitation disait “A food and wine extravanganza”. La promesse: 98 vins différents venus de 55 pays, tous offerts à la degustation…
“Ca n’a jamais été fait avant” nous confiait en début de soirée l’organisateur de la fête, George Sape, avocat américain, passionné de vin et président de l’association American Friends of the Cité des civilisations du vin.
//
George Sape, président de l’American Friends of the Cité des civilisations du vin, parle de la grande dégustation organisée jeudi à l’ONU avec le maire de Bordeaux Alain Juppé. Notre article: http://frenchmorning.com/a-lonu-du-vin-55-pays-et-bordeaux/
Posted by French Morning on Friday, May 1, 2015
Objectif: réunir un million de dollars pour financer un auditorium nommé “Thomas Jefferson” dans la future Cité des Civilisations du vin en cours de construction à Bordeaux. La cible: les Américains suffisamment amateurs de vin -et suffisamment riches- pour faire de gros chèques pour cette cause. “Avec cette soirée, on lance la machine, on fait parler du projet. L’argent viendra ensuite”.
Pour faire parler d’eux, ces distingués oenophiles ont donc choisi l’ONU, précisément la “delegates dining room” et sa sublime vue sur l’East River. L’idée est de montrer que le vin est une affaire mondiale, comme l’est l’ambition de la Cité. Bref, la consigne est à l’exotisme. Mais la question hante plus d’un convive (qui ont payé 650 dollars par personne pour ce “fundraiser”): ce n’est pas un peu beaucoup 98 bouteilles?
Comment choisir? Trouver une méthode ou laisser le hasard faire les choses? Est-il bien raisonnable de donner de l’argent à une “cause” aussi futile? Avant même le premier verre, les questions font tourner la tête. Il y a ceux qui la jouent “safe” . “Franchement on a trop d’occasions de boire du mauvais vin aux Etats-Unis, moi je vais goûter les Bordeaux” nous dit un convive français. Les amateurs de vin ne sont pas nécessairement des aventuriers. On aurait peut-être dû le suivre. Mais nous étions là pour découvrir, apprendre…
Pour nous aider dans notre quête, rien de mieux que George Sape, le maître de cérémonie. Un homme qui possède une cave de 25.000 bouteilles ne peut pas se tromper. Que nous suggère-t-il donc? “Il y a une origine que je n’avais jamais rencontrée: Tahiti. Je n’avais aucune idée qu’on y faisait du vin” .
Nous voilà donc partis sur la trace du vin de Tahiti. Au centre de la pièce, les vins sont alignés les uns à côté des autres. On tente sa chance avec un premier serveur, ravi d’apprendre que Tahiti est une île du Pacifique, mais qui ne peut rien pour nous. On tombe sur une bouteille de vin albanais et une idée nous effleure: tenter la méthode alphabétique. Une bouteille par lettre. Le vin albanais est… albanais, mais il a le grand avantage de précéder immédiatement le Bordeaux.
On est sur le point de faire une entorse à notre règle de l’exotisme à tout prix lorsqu’on est sauvé par un convive qui nous conseille un “vin de Galilée” , israélien, donc. “Un Syrah, excellent” . Pas mal effectivement. On commence à comprendre que l’ordre sur la table n’est pas alphabétique, mais géographique. Car à côté du vin israélien trône une bouteille d’EL Ixsir, un vin libanais.
La juxtaposition, et l’euphorie qui monte, donnent immédiatement naissance à l’idée d’une nouvelle méthode de dégustation qu’on nomme hardiment “géopolitique”: faire se côtoyer des vins de pays ennemis. Faire la paix dans nos palais à défaut de la faire dans les palais des puissants de ce monde. Conscient qu’il faut être déjà bien engagé sur la voix de l’exploration oenologique pour apprécier pleinenement la saveur de ce jeu de mot piteux, on décide de le garder pour soi, mais on partage l’idée de la diplomatie vinicole avec le charmant ambassadeur libanais qui est encore là. Il sourit aimablement. “C’est vrai que ça ne va pas vous aider beaucoup pour résoudre le conflit entre l’Arabie Saoudite et l’Iran” , croit-on nécessaire d’ajouter.
Un coup d’oeil en passant aux bouteilles de vin turc et arménien qui se côtoient et on arrive à l’Europe de l’Est. C’est un autre charmant ambassadeur qui a la mauvaise fortune de se voir poser la même question, légèrement hésitante: “monsieur l’ambassadeur d’Ukraine, quel est le meilleur vin, le vôtre ou celui de Russie?”. Yuriy Sergeyev esquive mais en profite pour nous faire savoir que le vin de son pays représenté ici, le Shabo, est issu d’un très vieux vignoble, près d’Odessa, qui fut fondé par des Suisses en exil.
L’histoire est intéressante mais nous éloigne considérablement dans notre quête du vin de Tahiti. On se remet en route, à peine interrompu par un gorgée de vin d’Ethiopie qu’on essaie d’oublier très vite. Une pensée nous vient: si Bordeaux faisait tout ça simplement pour souligner que l’exotisme ne fait pas le grand cru? Pensée immédiatement chassée lorsqu’on tombe sur une bouteille de vin japonais: sur l’étiquette la photo du propriétaire du vignoble, qui n’est autre que Bernard Magrez, magnat du Bordelais. Car dans la majorité de ces pays, on trouve une origine française, et souvent bordelaise… “Le monde appartient à Bordeaux” : le voilà le message subliminal de la soirée. C’est incroyable comme les idées deviennent claires tout à coup.
Ravi d’avoir percé à jour ce plan de conquête du monde par Bordeaux, via l’ONU, on partage notre théorie (du complot) avec le fromager qui préside à l’un des excellents buffets qui offrent de salvatrices pauses. Intrigué, il part avec nous dans une dernière tentative de recherche du vin de Tahiti… et le trouve, grâce à l’aide d’un serveur qui non seulement connait Tahiti mais sait localiser la bouteille dans un des bacs à glace.
On découvre que le vin de Tahiti est blanc. On goûte. “C’est vrai que Tahiti n’est pas connu pour les raisins, ça convoque les mauvaise images” ajoute le perspicace fromager. Avant de lancer: “On va penser à Gauguin et on va recommencer” . Et ça marche! Subitement, on trouve que la minéralité un peu sévère du vin a des “notes de corail”. Le vin aussi, c’est dans la tête.
Plus de photos (crédit: AFCCV / French Touch Events):